Transformation numérique et conditions de travail

Publié le : 09/03/2016

L’évolution des technologies numériques continue d’opérer une transformation profonde au sein des entreprises. Elles impactent à la fois l’organisation, le management, la culture, le rapport au travail, les compétences ainsi que l’ensemble des acteurs de l’entreprise.
Crédit photo : Christian Chadourne - Concours "Le travail en images" 2014

Incontournables, leurs effets sont parfois subis. Mais elles représentent également de vraies opportunités pour re-questionner l’organisation du travail et tous les fonctionnements de l’entreprise.

Les enjeux

La transformation numérique du travail n’est pas réductible à sa dimension technique. Elle bouleverse l’ensemble des dimensions du travail, depuis son organisation jusqu’à ses finalités, en passant par les manières de le réaliser et par les conditions dans lesquelles il s’exerce.

Chacun peut en faire l’expérience tous les jours : la nature des effets des outils numériques et de leurs usages sur les conditions de travail est ambivalente.

  • S’il elle constitue un enjeu incontournable de modernisation des entreprises en ce qu’elle recèle a priori un fort potentiel d’innovation, de productivité et de performance, la transformation numérique du travail peut aussi générer son lot de problèmes. Ces difficultés sont d’autant plus réelles qu’elles sont difficiles à identifier, à mesurer et donc résoudre :
    • intensification et densification du travail,
    • surcharge informative,
    • renforcement du contrôle de l’activité,
    • contraintes excessives de réactivité,
    • brouillage des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle,
    • ou encore désintégration des collectifs de travail, individualisation du travail et désincarnation du management.
  • Toutefois, si cette transformation numérique du travail s’inscrit dans un processus collectif de régulation elle peut aussi offrir aux salariés plus de flexibilité, d’autonomie et de coopération. En "abolissant" les distances ou en facilitant les passages d’un monde à l’autre (entre les entreprises, entre les services, les équipes, entre les salariés et leur domicile) elle  permet également d’envisager des modes d’organisation plus souples, potentiellement propices à une meilleure qualité de vie des salariés.

Des enjeux de santé et sécurité au travail

Le déploiement des outils et des environnements numériques de travail a partie liée au développement de stratégies gestionnaires et d’outils managériaux visant à rationaliser le travail pour accroître la performance des entreprises.

  • Ces outils peuvent à la fois accélérer, modifier et perturber les rythmes de travail, faire évoluer et/ou accroître la charge de travail, ou encore la complexifier ou la simplifier, par ajouts ou transformations de contraintes et surcharge d’informations.

Et même s’il existe une certaine variabilité selon les secteurs, les entreprises, les métiers, etc. la tendance est clairement à l’extension de l’empire des technologies numériques sur les environnements de travail et aucune filière ne semble devoir être épargnée.
Les travaux réalisés sur l’hyper-rationalisation du travail doivent nous conduire à prendre garde aux formes de "travail intenable" qui peuvent s’y déployer, tant l’intensité du travail que nécessite la fabrique du compromis entre les standards qualité et l’exigence de flexibilité peut s’avérer redoutable sur le plan de la construction de la santé au travail et de l’employabilité.

  • D’autant, qu’à cette intensification du travail s’adjoint une densification de la charge de travail résultant des pratiques de reporting d’activité et de traçabilité des process produit/métier qui paradoxalement conduisent à perturber le travail et à le rendre invisible, en le détachant de ses conditions de réalisation par sa mise en indicateurs.

Avec des marges de manœuvre et des capacités d’apprentissage, d’initiative et de reconnaissance réduites, au delà des possibles troubles musculosquelettiques pour certains postes de travail qui ne peuvent pas être délestés de leur pénibilité par l’automatisation, la transition numérique peut engager un nouveau cycle où la problématique étendue de l’épuisement professionnel et des risques psychosociaux risque fort de gagner du terrain si des processus de régulation sociale ne sont pas efficacement mis en oeuvre.

Dialogue social

Mais des processus de conception orientés "usages" qui intègrent en amont ces préoccupations et qui permettent de revisiter les processus de décision et d’animer utilement le dialogue social dans les entreprises, les branches et les territoires émergent. Ils peuvent être soutenues par des méthodes collaboratives et appuyées par des technologies de simulation dont on peut espérer le déploiement à travers les usines du futur par exemple.

Elles pourraient ainsi servir d’appui pour encadrer, nourrir et outiller des controverses sur la qualité du travail et les schémas d’organisation impactés par des projets d’investissement et constituer du même coup un levier puissant pour réguler l’incertitude générée, développer une culture à la fois critique et constructive de l’usage des technologies, des conditions de travail et des modes d’organisation associés. Ceci permettrait d'améliorer la construction de diagnostics partagés sur les besoins et les enjeux d’investissement. A l’ère du numérique, la musette du travailleur, de l’entrepreneur ou du syndicaliste ne peut pas être simplement remplie d’outils techniques. Elle doit aussi faire de la place aux instruments culturels et aux médiations sociales.

Culture managériale

C’est un autre aspect de la transformation numérique du travail : les pratiques de travail qui se développent autour des outils numériques mettent sous tension les modèles d’affaires mais aussi la structure classique, pyramidale, de l’entreprise. En favorisant une communication transversale entre les salariés, les messageries, réseaux sociaux, communautés de pratiques ouvrent des horizons possibles pour le travail collaboratif et l’intelligence collective.

Mais ces modes de travail bousculent également les groupes professionnels, déstructurent les cadres organisationnels classiques, la nature et la qualité des relations de travail qui s’y déploient, générant des tensions autour des enjeux d’autonomie et de contrôle, d’engagement et de reconnaissance de la contribution des travailleurs (quels que soient leurs statuts).
Les relations hiérarchiques peuvent s’en trouver transformées et le management contraint de reconsidérer sa posture et ses pratiques. La stratégie managériale tient donc une place décisive et joue un rôle déterminant dans qualité de la transformation numérique du travail. Pour un nombre limité d’entreprises novatrices qui savent aujourd’hui prendre appui sur les potentialités du numérique dans une logique de rrégulation sociale, combien d’autres peinent à reconsidérer leur manière d’organiser le travail ?

Notre démarche

Les propositions  du réseau Anact-Aract contribuent à l’établissement d’un nouveau compromis productif entre performance et qualité de vie au travail, en prenant appui sur la puissance de transformation des pratiques sociales que recèlent les technologies numériques.

Expérimenter, capitaliser et transférer

En partenariat avec des acteurs spécialisés sur les nouvelles technologies et l’innovation ou la prospective (FING, France Stratégie, Cité Publique, etc.), le réseau Anact-Aract poursuit un important travail visant à proposer des enseignements des nombreuses investigations et expérimentations réalisées dans les entreprises et les territoires depuis de nombreuses années. Ces approches placent les usages des technologies et le développement d’une culture partagée du numérique dans les organisations au coeur des processus de transformation favorisant l’amélioration des conditions de travail et la performance de l’entreprise.

Aujourd’hui, sur cette thématique, le réseau Anact-Aract est mobilisé sur plusieurs fronts :

  • La conception de plateformes numériques professionnelles pour animer et professionnaliser les communautés d’intervenants sur l’amélioration des conditions de travail (consultants, préventeurs internes),
  • L’accompagnement des projets de transformation numérique des entreprises : formation des chefs de projets numériques en PME/TPE à une meilleure prise en compte du travail, afin de mieux concevoir les systèmes de travail et intégrer dès la conception les enjeux de conditions de travail et de performance durable des organisations,
  • Le développement d’outils de simulation des interfaces hommes-machines et de gestion des flux à la portée des PME, et de leur usages associant les équipes de conception et les futurs opérateurs durant les phases de conception, de présentation et de validation des postes de travail et des flux, pour mieux sécuriser des projets d’investissements, asseoir la performance de l’organisation, prévenir les risques professionnels et animer utilement le dialogue social,
  • La conception et l’expérimentation de démarches de télétravail et de télécentres, qui cherchent à intégrer, en amont d’une mise en oeuvre, une prise en compte globale de la qualité de vie au travail, des enjeux d’organisation du travail  et de management de l’activité (délégation/contrôle, autonomie/collaboration, polyvalence/expertise, etc.) de façon à éclairer et outiller la fabrique des nouveaux compromis temporels et rendre possible la conciliation des temps (vie professionnelle/vie personnelle).

L’expérimentation et de développement d’outils de datavisualisation et de démarches de réutilisation de données statistiques sur le travail pour faciliter, à l’échelle des entreprises et des territoires, la construction de diagnostics sur les enjeux de prévention et de promotion de la santé au travail ou d’égalité professionnelle.

Stimuler et animer l'innovation

Au-delà d’une activité de veille pour circonscrire le sujet, le Réseau Anact-Aract est partie prenante d’activités d’accompagnement et de soutien à la transformation numérique du travail. En tandem avec la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing), nous sommes engagés dans la construction et l’animation d’un "transformateur numérique du travail". Celui-ci  consiste à mettre en oeuvre un accélérateur de projets innovants qui concourt à mieux prendre en charge les enjeux associés à la transformation numérique du travail. Il s’agit  d’accompagner ces initiatives dans l’amélioration des conditions de travail et la mise en dialogue des transformations vécues. Sa vocation est de stimuler l’innovation, de soutenir des démarches à caractère expérimentale, d’organiser la production et le transfert de connaissances et d’alimenter la réflexion, le débat et l’expertise sur les transformations numériques du travail. Un appel à projet sera lancé dans les prochains mois.

Quatre thèmes sont retenus comme pistes d’innovation privilégiées :

  • Conception et usages des instruments de la mobilité professionnelle et du mieux travailler,
  • Mesurer, réguler et manager le travail,
  • Apprendre à créer et à innover dans de nouvelles organisations de travail,
  • Appuyer la transformation numérique des TPE-PME.

En savoir plus / Contact : Marion Deffez, chargée de mission Aract Nouvelle-Aquitaine

 

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